Moritz Simon Geist : l’amour des robots

Publié le 16 juin 2014 /

Moritz Simon Geist a un parcours fascinant, aussi bien dans la musique classique, que dans la robotique. Ses projets vont de performances de musique électronique à des installations de sons robotisés. Ses installations robotiques et ses performances ont fait le tour de nombreux festivals européens comme Ars Electronica en 2014, Club Transmediale en 2013, ou le Mapping Festival (Suisse). Il a également collaboré avec des artistes tels que Mouse on Mars ou Tyondai Braxton. Il conduit également des débats sur l’évolution de la robotique dans la société. En 2015, il a reçu le prix Artist-In-Residence-Stipend (une bourse d’artistes en résidence) de la Saxe. Moritz Simon Geist habite et travaille à Dresde en Allemagne, c’est là-bas que je l’ai rencontré, dans son appartement pendant le festival ICAS en avril 2015.

Depuis combien de temps habites-tu à Dresde ?

Moritz Simon Geist: Cela fait 15 ans que j’y suis, avec quelques coupures, mais je viens de Göttingen.

Pourquoi es-tu venu t’installer ici ?

MSG: En partie pour les études. Avec un groupe d’amis, on a décidé de venir s’installer ici. C’est comme ça que ça a commencé en 2001.

Intéressant. La plupart des gens vont plutôt à Berlin, vu que c’est seulement à 2h d’ici.

MSG: Toute la partie Est de l’Allemagne a un attrait particulier. À Leipzig ou à Dresde, tu peux tomber sur des endroits complètement déserts, et des vieux bâtiments. C’est également le cas à Berlin, mais c’est moins courant d’y aller pour cette raison.

Déjà à l’époque tu avais envie de t’installer dans une ville comme celle-ci ?

MSG: Le vrai Est (rires). Oui, bien évidemment. Je suis allé en Lituanie plusieurs fois, alors je connaissais déjà un peu le bloc de l’Est. Cela nous attirait énormément.

Pourquoi ?

MSG: Parce que c’était différent de la ville où j’ai grandi. À l’Ouest de l’Allemagne, tout est déjà figé. Ici, à Dresde, j’ai pris un cours d’ingénierie électronique à l’université technique. Mais j’ai un parcours plus musical, car j’ai appris à jouer de beaucoup d’instruments quand j’étais jeune. J’ai commencé le piano à 5 ans. Puis, j’ai appris la clarinette à 8 ans et j’ai continué à apprendre à jouer d’autres instruments. J’ai commencé la musique électronique en 1997 avec mon premier ordinateur. À l’époque, il n’y avait pas de logiciel comme Ableton, mais des programmes DOS appelés « Trackers ». Mes premiers pas dans la musique électronique se sont fait avec ses programmes.

Si tu n’étais pas musicien, que ferais-tu aujourd’hui ?

MSG: En fait, j’ai travaillé comme ingénieur quand je n’avais pas assez d’argent pour vivre de ma musique. Je peux le faire aussi, mais c’est un travail de bureau ennuyant, alors j’essaye de l’éviter au maximum.

Du coup maintenant tu es musicien à temps complet ?

MSG: Oui, depuis 2 ans maintenant et c’est génial.

D’où vient ton intérêt pour l’ingénierie ? Beaucoup de musiciens et programmeurs sont codeurs, mais je n’en connais pas beaucoup qui sont ingénieurs.

MSG: Quelques membres de ma famille sont enseignants et musiciens, l’autre partie est plutôt dans la technique ; j’imagine que c’est dans les gênes. Quand j’avais sept ans, ma grand-mère m’a offert une petite boite avec des circuits électroniques. Dans ma famille, personne ne savait quoi en faire, je l’ai donc d’abord expérimenté seul dans le sous-sol de mes parents. J’ai commencé par démonter des radios, pour comprendre comment ça marchait, le genre de chose normale que font les enfants curieux. Puisque tu ne recherches pas quelque chose de concret, il s’agit vraiment de s’amuser et de faire des expériences. C’est de l’action sans but particulier. Il n’est pas question de « Je dois enregistrer un CD » ou « Il faut que je publie cet article dans un magazine important ». Cette légèreté est importante pour beaucoup d’artistes, moi inclus, et devrait l’être pour les autres.

Avec Sonic Robots aussi, cet aspect ludique est inné.

MSG : Oh oui, quand j’ai commencé je pensais que ce n’était qu’un passe-temps un peu spécial et aujourd’hui je peux en vivre.

L’intérêt pour la robotique en particulier vient de votre passé en ingénierie ?

MSG: J’ai quelques imprimantes 3D chez moi que j’utilise beaucoup. J’ai même une petite société qui vend des impressions en 3D. J’adore rentrer à la maison après être allé boire un verre et que les robots soient encore en marche. En fait, les robots gagnent de l’argent pour moi alors que je me détends. C’est une super idée sur la manière dont les robots peuvent travailler pour les hommes. Au début, je ne pensais pas faire quelque chose avec des robots ou de la mécanique, c’était tellement naturel. J’ai beaucoup appris dans les livres, il n’y avait pas tellement d’Internet à l’époque. La première fois que nous avons eu accès à Internet à l’université, au milieu des années 90, nous essayions de trouver des informations en ligne sur les circuits. Mon premier robot était une machine qui (j’avais un groupe de rock à ce moment là) pouvait enregistrer des cassettes automatiquement. Il prenait une cassette pour la mettre dans le magnétophone et nous enregistrait, il pouvait ensuite la sortir pour la remplacer. Je n’avais donc pas besoin de le faire moi-même, c’était plus de la paresse qu’autre chose.

Mes parents ont cet aspirateur robot, c’est vraiment drôle, on dirait un animal de compagnie.

MSG : Ils sont dingues, j’ai rendu visite à ma grand-mère la semaine dernière, elle m’a dit qu’elle ne sortait plus de chez elle et regarde son robot fonctionner, tellement c’est cool.

Peux-tu nous parler de l’équipe de Sonic Robots ?

MSG : C’est un projet qui a commencé il y a 3 ou 4 ans. Les membres sont assez changeants, je suis le seul qui soit toujours présent. Mon frère en fait également partie, avec d’autres personnes de Dresde. On construit ces robots ensemble et j’essaie de mobiliser plus de monde parce que c’est tellement plus marrant en groupe. Il y a 3 ans, on avait une grosse installation, MR 808 : un immense robot-batterie qui ressemblait à un jouet démesuré, un remake de l’ordinateur-batterie électronique des années 80, le TR 808. C’était le premier robot que nous construisions et ça a plutôt été un succès, nous avons tout de suite été invités par beaucoup de festivals. Nous avons mis 3 ans à construire le MR 808 parce que je ne savais pas vraiment comment ça marchait et il fallait que je trouve les techniques, par exemple pour l’encadrement. C’était beaucoup de recherches. A la fin de l’année dernière, nous avons terminé le Glitch Robot, qui est davantage sur la précision du son. 
Tout notre projet s’oriente vers la musique robotique, nous essayons de créer des instruments dédiés à la musique électronique et avec des sonorités mécaniques.

De quelle manière précisément ?

MSG: Normalement, en tant que producteur de musique dance ou de musique électronique, tu as du matériel qui te produit du son de manière électronique. Nous essayons de rapprocher la création sonore du domaine numérique puis du matériau à nouveau. Nous prenons des robots pour faire le travail, par exemple il y a un tambour qui est frappé par un moteur, une ficelle par un électro-aimant. Tous ces moteurs, électro-aimants sont assemblés pour finalement produire un son similaire aux sons électroniques et capable de créer la structure de la musique électronique. Je pense que c’est une manière intéressante de procéder. D’après moi, peu de gens le font et il y a beaucoup de choses qui peuvent être réalisées dans ce domaine. C’est un domaine un peu compliqué puisque d’un côté il faut faire tout ce qui est technique, cela peut devenir ennuyeux et le point de vue technique sur le monde peut s’avérer dangereux. D’un autre côté, il y a les aspects artistiques et musicaux : c’est beaucoup de travail que de combiner ces domaines et il est parfois difficile de le faire correctement.

Y a t-il un élément de démystification dans certaines de vos installations ?

MSG: Dans le monde réel, quand tu as une machine mécanique qui fabrique quelque chose, c’est visible. C’est comme un gramophone. Tu peux voir comment le son sortir de l’aiguille au travers du cylindre. Si une personne joue avec un ordinateur, on ne voit pas réellement ce qu’il se passe. Il y a aussi un élément de mystification. Le Glitch Robot, par exemple, essaie de gérer les problèmes qui surviennent avec un système mécanique et parfois ça ne fonctionne pas de la manière souhaitée (ex : le cliquetis d’un disque dur cassé). C’est la mystification de ce procédé de fabrication de sons plus petits avec les erreurs du système mécanique.

De la même façon, les gars de la Techno de Détroit qui travaillent avec des logiciels similaires ont souvent créé des sons nouveaux en utilisant leurs machines de façon détournée.

MSG : Un des trucs de l’art c’est de traverser les frontières. Avec toute la musique numérique, vous pouvez faire ce que vous voulez, le son numérique est traité un million de fois. Avec les robots cependant, l’étendue n’est pas si grande.

C’est plus physique, nous ne sommes pas dans le monde virtuel du logiciel Ableton.

MSG : C’est aussi plus compliqué parce qu’il faut gérer toutes ces questions du monde réel, pas seulement les problèmes virtuels comme par exemple la façon de télécharger un extrait le plus vite possible.

Tu parlais de contre-passivité comme d’un but à atteindre. Est-ce que cela signifie que Sonic Robots a également une perspective sociale ?

MSG: Quand tu as un système, un clavier ou un synthé avec des préréglages, c’est assez facile de commencer, mais au bout d’un moment notre but est de regarder derrière le rideau pour voir la façon dont se créé un ton, comment un système fait ce qu’il fait, comprendre le matériel qui est derrière et modifier le système pour qu’il fasse ce que tu souhaites réellement faire. On essaie de faire en sorte que la réalité marche comme nous le souhaitons. C’est identifiable à beaucoup de sujets, par exemple des sujets de société comme le piratage social, et de mon côté je l’identifie à la musique.

Tu travaillais aussi avec Mouse On Mars et Tyondai Braxton, peux-tu nous parler de cette collaboration ?

MSG : Ça a commencé au début de l’année dernière, nous avons fait un morceau avec Terry Riley appelé In C. C’est de la musique en série, il n’y a pas très loin pour le transformer d’un morceau d’orchestre à un morceau robotique. Il y a plusieurs minutes où un musicien joue une note, comme le do (C.), ding ding ding et ça pourrait également être joué par un robot. Mouse On Mars cherchait quelqu’un qui puisse s’occuper de tout cet aspect technique, on s’est regroupé et les organisateurs ont proposé que Tyondai travaille avec nous. On s’entend bien et nous sommes souvent au studio à tester du matériel robotique et à s’enregistrer.

Comment c’est Dresde, est-ce qu’il y a un groupe qui partage le même opinion ?

MSG : A cet égard, c’est sur que Dresde n’est pas aussi grande que Berlin. D’une certaine manière c’est rassurant parce que après 5 ans, tu connais tout le monde. Quand ça touche à la musique électronique, il y a un label Uncanny Valley avec Jacob Korn et tous les autres artistes. Du côté du piratage aussi, beaucoup de choses se passent, le projet de « circuit bending » d’Alwin Weber, par exemple. Chaque année, Dresde est le lieu d’un festival de Circuit Bending, le seul de son genre en Europe, j’y ai proposé un atelier l’année dernière. On y rencontre des spécialistes fous qui travaillent d’habitude dans leur sous-sol et leur chambre, ils sortent la nuit et des fois au festival de Dresde. Ils ont énormément de connaissances sur tout ce qui est technologique.

Quels sont tes futurs projets ?

MSG: Un de mes projets est l’album que je suis entrain d’enregistrer avec Andi de Mouse On Mars. On fait aussi beaucoup de concerts en ce moment, donc on peut toujours faire plus. On construit de nouveaux robots en permanence. Le Glitch Robot est terminé mais toute cette robotique a tendance à se casser pendant les transports. On construit aussi 2 nouveaux robots, dont un qui n’a pas encore de nom, c’est un robot-basse qui fait de merveilleux sons de basse. J’ai aussi une boite avec des plans pour tous les robots que je voudrais construire, ça pourrait m’occuper pendant 10 ans !

Est-ce que tu as un robot de rêve ou un projet robotique ?

MSG: Mon rêve ce serait un atelier où les gens pourraient travailler en permanence. En plus de ça, j’ai une idée pour reproduire tous les aspects du son électronique par des robots. Mais pour moi, ça n’est pas un rêve, je sais qu’au bout d’un moment j’aurais suffisamment de robots pour limiter la présence des synthé sur scène.

 

Traduction de l’article Shape, visible ici.