Maintenant vous étonne avec « Eotone »

Publié le 26 septembre 2014 /

Deux artistes, quatre villes et des capteurs de vent, ça donne « Eotone ». Ce projet franco-québécois débuté en 2012 permet la création en temps réel, via l’installation de quatre capteurs, d’une douce harmonie à partir du vent. Herman Kolgen nous parle d’« Eotone », installation que vous pourrez découvrir sur la place Hoche de Rennes du mardi 14 au dimanche 19 octobre.

– Bonjour Herman, pourrais-tu présenter succinctement les points communs dans ton parcours et celui de David ?

David a fait une formation en architecture et moi-même j’ai suivi quelques cours. Concernant mon parcours personnel, je suis autant musicien qu’artiste visuel. J’ai commencé à être percussionniste à l’âge de 12 ans et à exposer dans des galeries à l’âge de 16 ans. Le visuel et le son sont au cœur de mes intérêts. Du côté de David, je pourrais dire quelques mots sur le métier d’architecte… Ce n’est pas si rose ! Une architecture hyper créative est difficilement réalisable car il y a des contraintes, notamment politiques. Il a vite lâché l’architecture mais elle reste au centre de sa démarche car il fait des installations. J’imagine qu’il a commencé à faire de la musique hyper jeune aussi.

– Comment envisages-tu le rapport entre les arts visuels et la musique ?

Au départ, c’était deux médiums séparés. Je faisais de la musique, de la peinture, mon père me disait qu’il faudrait choisir. Lorsque j’ai commencé à travailler sur des ordinateurs en 1986, j’ai vu que je pouvais faire du son et de l’image ensemble. Grâce au numérique, c’est devenu un seul médium et je ne fais pas de différences entre les deux. Je travaille beaucoup pour les relier de façon dynamique. En audio, on travaille avec les sons et la musique est reliée avec l’image. Finalement, les deux font bouger l’un et l’autre. Je peux autant travailler l’image que le son et faire de la musique dans mes images.

– Comment décrirais-tu le projet Eotone ?

Le projet a été mis en place avec Elektra (Montréal), Electroni[k] (Rennes), Recto Verso (Québec) et Stereolux (Nantes). La commande était complètement libre. On nous avait juste demandé de relier l’Amérique avec l’Europe. On avait un projet avec le vent car c’est une force qui relie toute la planète un peu comme l’effet papillon. L’idée est que le vent à Montréal pourrait avoir une répercussion à Nantes ou à Rennes. Le vent peut être calme, ressourçant, source d’oxygène ou peut être une force destructible lorsqu’il se déchaîne. On s’est dit que cette force qui voyage était très intéressante. Dans mon travail tous mes projets se basent sur cette force.
Notre challenge était de faire parler cet effet papillon. On a développé des capteurs de vent dans quatre villes, Montréal, Québec, Rennes et Nantes, pour transmettre les sons.
On a fait un calcul harmonique et grâce à la puissance du vent, chaque diffuseur projette sa propre musicalité. Des fois, un des diffuseurs se met à chanter plus fort, et ça tu le perçois quand tu es au milieu du quadralogue. Si tu te mets au centre, tu entends l’harmonie de quatre villes en temps réel, c’est un genre de nouvel harmonique.

– Peux-tu expliquer comment fonctionnent les installations (capteurs de vent, diffusion du son, etc.) ?

La recherche a commencé en se disant qu’on voulait avoir la force du vent. Les capteurs viennent de France et marchent à l’ultrason comme des chauves-souris. On a fait un prototype puis on a trouvé ces capteurs hyper faciles à installer, sans pièce mobile. On a relié cela aux logiciels qui sont eux-mêmes reliés aux structures.

Il était clair dans notre tête qu’on voulait des capteurs et des diffuseurs, comme des structures. On trouvait important d’avoir quatre structures physiques sur un terrain pour pouvoir savoir que tel capteur diffuse Montréal, l’autre Rennes, etc.
Nous avions trois priorités pour la conception des structures. Un, il fallait que la forme soit aérodynamique. Elles font cinq mètres de long. Dans les villes il y aussi du vent et il ne fallait pas que le vent détruise nos structures. De deux, il nous fallait une forme qui soit diffuseur de son comme un gramophone pour propulser le son. C’était au centre de nos calculs. La 3ème raison est que ces structures sont dans des lieux, des villes, et il fallait que ce soit en harmonie avec l’environnement. Il fallait que ce soit beau et que ça s’intègre en même temps. Par exemple, à Montréal avec les buildings et le ciel, ça s’ajoute à l’intégration. A Nantes, l’environnement est complètement différent avec les chantiers navals, et ça s’intégrait très bien aussi. Ça peut aussi être dans la nature on aimerait bien les mettre dans les montagnes.

– L’environnement dans lequel est placé Eotone peut-il changer l’atmosphère de l’œuvre ?

Oui sûrement ! A Nantes il faisait beau, l’ambiance était relax, il y avait le soleil. A Québec, on risque de ressentir le vent de façon beaucoup plus brut, on pourra presque voir la brume d’un dragon en sortir !

– Dans des vidéos que j’ai regardées, les quatre sculptures transmettent des sons aux allures sombres, inquiétantes ou même apocalyptiques, est-ce que le vent représente uniquement des aspects sombres pour vous ?

La plupart du temps c’est drôle, les gens disaient au contraire que c’était reposant et pas du tout apocalyptique. Le vent représenterait comme des vagues. Je ne tiens pas à ce que ce soit méditatif mais la plupart du temps c’est plutôt calme que violent.
Dans le fond d’ailleurs, on ne voulait pas prendre ces décisions-là. La décision artistique ne relève pas de nous mais du vent. Ce n’est pas comme de la musique où on prend notre instrument et on décide de jouer telle note. C’est un système de probabilité où ce ne sont pas les hommes qui décident.

– Est-ce important que l’installation prenne place dans l’espace public ? Quelle est la réaction des passants / spectateurs ?

Oui c’est important. Il y a comme un effet magnétique sur les personnes. A Nantes, on l’entendait de l’autre côté du pont. Il faut se mettre au centre pour bien entendre. Il y a toujours des médiateurs qui expliquent mais les gens sont hyper curieux ! J’adorais parler avec les gens. Lorsque je m’approchais d’eux, on aurait dit qu’il y avait un point d’interrogation au-dessus de leur tête. J’essayais d’expliquer le principe mais en orientant davantage le côté poétique de la chose.
L’aspect d’instantanéité est d’ailleurs le plus intriguant. Se dire qu’en quelques secondes, on entend le vent qui, en fait, est à des milliers de kilomètres, c’est fou. Et ressentir quatre bourrasques de vent en même temps, se demander de quelles villes elles viennent… Cet aspect-là est intéressant.

– Où est-ce que l’installation Eotone va circuler à l’avenir ?

Eotone a débuté à Montréal puis à Nantes, bientôt ce sera à Rennes et la dernière étape c’est Québec. Il fera sûrement -40°C !
Un futur projet pourrait être de faire dialoguer des villes qui ne dialoguent pas assez, des villes en conflits, comme la Corée du Sud et la Corée du Nord. Ça pourrait être intéressant de donner une telle suite au projet !

– Mis à part Eotone, selon toi, que ne faut-il pas manquer pendant le Festival Maintenant ?

Je ne connais pas parfaitement la programmation… Mais je peux te parler d’une autre œuvre que je présenterai : « Seismik », le mardi 14 octobre à 20h30. C’est une performance audiovisuelle. Je suis directement sur la scène avec un écran géant de cinéma qui diffuse des images. Je suis connecté avec des sismographes partout sur la planète et je peux changer la fréquence des différentes villes qui vont se répercuter sur le visuel. Il y a des fréquences que je ne contrôle pas comme des fréquences graves. C’est une œuvre très dynamique !

Photos : © Herman Kolgen

Juliette Josselin, pour Electroni[k]